Le 13 mars 2020, quelques heures avant la mise à l'arrêt de la planète, pour cause de pandémie, j'écrivais ce petit texte-ci, assis dans un café étrangement désert, presque vide...

"C’est imperceptible. Ça ne se voit pas. Ça ne s’entend pas. Ça n’existe pas. Ça vient de loin. Et pourtant, on en parle. Ça se faufile. Ça se glisse dans les conversations. Ça grignote les cerveaux. L’air de rien. Comme un poison lent.

C’est comme un infrason, que seul le corps ressent. Ou alors un ultrason. Une aberration, que l’oreille n’entend pas… tellement c’est fort.

C’est imperceptible. Comme un cheveu dans la soupe. Une puce sur le dos d’un chien. Une poussière dans l’œil. Tout à coup, ça vous prend. Ça démange. Ça gratte. Ça déglingue. Le cheveu prend le dessus sur la soupe. Le chien se roule par terre. La vue se voile.

D’abord ce n’est rien. Rien qu’un détail. Un point d’agacement. Une bêtise. Mais bientôt ça se propage. Les grains de sable prennent le pouvoir. Font la loi. L’imposent aux hommes, ces géants aux pieds d’argile, soudain soumis aux caprices du cheveu, de la puce, de la poussière.

Et alors, il se passe une chose folle. Tout à coup, les géants tremblent sur leurs échasses. Paniquent. Prennent peur, et voilà que la peur se propage. Comme une traînée de poudre. Comme un virus.

Tout à coup, oui, les géants se transforment en gamins affolés. Lèvent les yeux vers le ciel. S’agenouillent sous les poussières d’étoiles. Se rappellent qu’eux aussi viendront un jour à mourir – et si c’était demain ?

Et alors, ils lancent des prières. Ont des serments d’enfants. Se sentent coupables – mais au fond, de quoi ? Promettent qu’ils ne le feront plus – vivre si mal, si bêtement, si méchamment… jamais plus ! Et alors ils jurent que demain, si Dieu le veut, si le ciel les acquitte, les absout de leurs péchés, promis, ils vivront comme de bons chrétiens, dans l’amour du prochain, et jamais un mot plus haut que l’autre.

Mais tout ça, c’est imperceptible. Ça ne se voit pas. Ça ne s’entend pas. Si ça se trouve, ça n’existe pas. Si ça se trouve, c’est juste un mauvais rêve."

Texte de Nicolas Crousse, Journaliste, Bruxelles. Avec son aimable autorisation.